« Je n’ai plus peur » : accompagner l’autonomisation des femmes
À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, Christina (Nina) Alff, de l’Association de soutien Oikocredit pour le Bade-Wurtemberg (Allemagne), partage dans cet article ses réflexions sur « l’autonomisation des femmes ». Nina consacre beaucoup de son temps et de son expertise à la sensibilisation à l’égalité des sexes : elle explique en quoi ces enjeux ont un lien avec le travail de Oikocredit.
L’autonomisation est un terme très large et pas toujours facile à définir. Quand nous parlons de l’autonomisation des femmes, nous devons définir clairement ce que cela recouvre. L’une des meilleures définitions, à mon sens, a été donnée par Naila Kabeer, une universitaire reconnue, originaire du Bangladesh et spécialiste du développement. Celle-ci souligne que « l’autonomisation des femmes est le processus par lequel celles qui se sont vu refuser la possibilité de faire des choix de vie stratégiques acquièrent une telle opportunité ». Pour le dire plus simplement : l’autonomisation intègre un processus de changement.
Que sont les choix de vie stratégiques ?
Pouvez-vous imaginer ce que cela veut dire de ne pas pouvoir choisir la personne avec laquelle vous voulez passer votre vie ni l’endroit où vous souhaitez vivre ? Ou de ne pas pouvoir décider si vous voulez ou non des enfants ? Ou de ne pas être autorisé à créer une entreprise même si vous en avez toutes les capacités ? Si, dans les pays privilégiés du Nord, la majorité des petites filles et des femmes peuvent faire des choix de vie stratégiques, c’est loin d’être le cas dans de nombreux pays où elles sont toujours privées de ces droits fondamentaux. L’UNICEF estime que douze millions de fillettes sont mariées chaque année. La majorité de ces petites filles doivent épouser un homme qu’elles ne connaissent même pas, parce que leurs parents ont pris la décision à leur place.
Avoir le choix implique que les femmes aient plusieurs options et puissent prendre leurs propres décisions. La capacité d’exercer des choix de vie stratégiques requiert trois dimensions interdépendantes :
- l’accès aux ressources, qu’elles soient matérielles (l’argent, la terre, les machines, etc.), humaines (l’éducation, la formation, l’information, etc.) et sociales (les réseaux, les groupes de crédit, les coopératives, etc.) ;
- l’accès au pouvoir, qu’il s’agisse du pouvoir de décision sur l’utilisation des ressources, du pouvoir de négociation dans les familles, les communautés et la société ;
- et les réalisations, dans le sens de bénéficier des fruits des activités entreprises.
Autonomisation des groupes marginalisés
L’autonomisation des groupes et des individus marginalisés est un processus focalisé sur la remise en cause des relations de pouvoir dans le but d’arriver à plus d’égalité. Mais, si l’on soutient l’autonomisation d’un groupe ou d’un individu, certain·e·s pourraient penser que mécaniquement, on prive d’autonomie d’autres groupes ou individus. L’autonomisation des uns signifie-t-elle réellement que les autres seront désavantagé·e·s ou perdront du pouvoir ? Pas toujours. Par exemple, lorsque les femmes apportent leurs propres revenus au ménage, les hommes en bénéficient également. Lorsque les femmes ont un pouvoir de décision dans les entreprises, cela augmente généralement l’efficacité des processus.
D’un autre côté, si des réformes agraires sont mises en œuvre en faveur des ouvriers et ouvrières agricoles sans terre, les grands propriétaires terriens risquent de perdre de leur pouvoir, de leur influence et probablement de leurs profits.
Quand on parle de l’autonomisation des femmes, nous devons soigneusement en différencier les dimensions multiples et souvent interconnectées. Parlons-nous d’autonomisation personnelle, économique, politique, sociale ou juridique ?
Comment Oikocredit soutient-elle l’autonomisation des femmes ?
Oikocredit soutient principalement l’autonomisation économique des femmes en leur donnant accès à des prêts équitables et à des programmes de renforcement des capacités. De nombreuses organisations partenaires de Oikocredit contribuent à l’autonomisation individuelle des femmes en proposant diverses formations aux techniques de négociation et de marketing, ou en échangeant sur les questions de droitshumains.
« Je n’ai plus peur »
Je n’oublierai jamais l’histoire d’une couturière prospère que j’ai rencontrée à Lima, au Pérou. Elle était cliente d’une ancienne organisation partenaire de Oikocredit et avait créé son entreprise de couture en investissant l’argent des prêts dans des machines à coudre modernes. Elle avait ainsi pu développer sa clientèle, acheter une maison et envoyer ses filles à l’université. Cependant, ce qui m’a vraiment impressionné, c’est ce qu’elle m’avait raconté à propos d’un atelier organisé par le partenaire de Oikocredit (à l’époque) sur le thème des droits humains et des droits des femmes. C’était la première fois de sa vie qu’elle entendait parler de la loi péruvienne contre la violence sexiste. « Nos hommes boivent parfois trop puis ils nous insultent ou même deviennent violents. Cela ne va pas. Nous avons appris à dire non à la violence des hommes », dit-elle. En outre, elle m’avait alors dit fièrement et avec beaucoup de confiance en elle qu’elle « n’avait plus peur » et qu’elle parlait de ses préoccupations en famille. Elle est devenue une militante pour les droits des femmes !
Voici un exemple de ce qu’est l’autonomisation individuelle sous la forme la plus efficace, car en tenant tête dans son foyer, elle éduque ses filles et ses fils en conséquence. Elle est également susceptible d’échanger avec ses amies et, par là même, d’encourager les autres membres de sa communauté à lutter contre l’injustice.
L’inclusion financière peut être la première étape
L’autonomie financière, dans laquelle les partenaires de Oikocredit jouent un rôle majeur, est une étape importante vers une autonomisation plus large. En outre, dans les ateliers sur les droits des femmes, la législation et les compétences en matière de leadership, les femmes acquièrent les connaissances, les compétences et la confiance nécessaires pour réfléchir à d’éventuels choix de vie stratégiques.
À propos de Christina Alff :
Dr. Christina Alff travaille depuis 2013 dans l’association de soutien de Oikocredit pour le Bade-Wurtemberg. Responsable de l’éducation et de l’apprentissage au niveau mondial pour les membres et les investisseurs, elle donne des conférences, anime des ateliers et participe à des débats sur la finance durable, les investissements éthiques et les questions de développement telles que le commerce équitable et l’égalité des sexes. Elle consacre le reste de son temps de travail à des consultations et des formations sur le genre pour des agences internationales de développement.